Rumsfeld jugé responsable
des abus d'Abou Ghraïb
(AP/Pablo Martinez Monsivais) Crédits photo : AP
Un rapport des sénateurs américains raconte comment des techniques d'interrogatoires venues de la Chine communiste ont abouti dans les sombres geôles de la prison irakienne, avec l'aval des plus hauts responsables américains.
Les sévices contre des détenus ne peuvent pas être «attribués aux actions de quelques pommes pourries» comme l'avait affirmé le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz après la publication des photos d'Abou Graïb, estime un rapport du comité sénatorial américain aux Forces Armées (la synthèse en PDF). Le document, présenté par le démocrate Carl Levin et le républicain John McCain, détaille la propagation de techniques musclées depuis un petit groupe de travail composé de juristes et militaires à la sinistre prison d'Abou Ghraïb, en passant par l'Afghanistan et surtout, par le bureau de Donald Rumsfeld.
L'ancien patron du Pentagone et sa signature sur un document autorisant l'usage de ces techniques à Guantanamo est en effet selon ce rapport une «cause directe» des abus qui y ont été constatés. De même, les sénateurs jugent que le blanc seing accordé en décembre 2002 par Rumsfeld pour étendre ces pratiques aux autres théâtres d'opérations américains a «influencé et contribué» aux abus qui ont eu lieu en Afghanistan et en Irak.
Rumsfeld: «Je reste debout 8 à 10 heures par jour»
Le rapport du Sénat détaille l'exportation de ces techniques à travers le monde dans ses moindres méandres bureaucratiques. Tout commence avec le programme militaire SERE (Survival, Evasion, Resistance and Escape). Dans les centres du SERE, les militaires américains sont entraînés à résister à diverses formes de stress ou techniques d'interrogatoires musclées. Parmi elles, les positions de stress, la privation de sommeil, la privation sensorielle, la nudité, l'usage des phobies du détenus ou encore le «waterboarding», technique de simulation de la noyade devenu célèbre. Ironie de l'histoire : le rapport souligne que le programme d'entraînement du SERE a été forgé non seulement pour garder le silence, mais aussi pour éviter les fausses confessions extirpées aux GI par la Chine communiste à grand renfort de tortures lors des Guerres de Corée, avec précisément les mêmes techniques. Leur usage était donc totalement «incohérent avec l'objectif de récolte de renseignements précis et fiables».
Cela n'empêchera pas les hommes du Pentagone de s'intéresser de très près aux techniques du SERE à partir de juillet 2002. Briefings, réunions et groupes de travail s'enchaînent alors, réunissant juristes, militaires et des membres très haut placés de l'administration Bush, tels George Tenet, John Ashcroft ou Condoleezza Rice, ex-conseiller à la sécurité nationale, devenue ensuite secrétaire d'Etat. Le 1er août, le département de la Justice produit deux mémos qui redéfinissent d'un trait de plume ce qu'est la torture : il faut désormais que la douleur physique soit «équivalente à celle d'une perte d'un membre ou d'un organe ou même de la mort». Quant à la douleur mentale, elle doit «durer des mois ou même des années» pour constituer une torture. Parallèlement, de nombreux militaires font remonter jusqu'au Pentagone des demandes d'autorisations d'user de techniques plus musclées.
Finalement, le 2 décembre 2002, Donald Rumsfeld signe une autorisation pour utiliser les techniques venues du SERE à Guantanamo. Selon le rapport, il y ajoute cette note manuscrite : «Je reste debout 8 à 10 heures par jour. Pourquoi la station debout est-elle limitée à 4 heures ?».
«Nous sommes aussi des êtres humains»
Après ce feu vert de Rumsfeld, le rapport du Sénat détaille la circulation de ces techniques, via les déplacements d'instructeurs du SERE. Elles arrivent à Guantanamo, puis en Afghanistan et en Irak, pour finir avec les sinistres photos d'Abou Ghraïb. En clair, les sévices sur les prisonniers ne sont en aucun cas des débordements marginaux. Le rapport résume ainsi le processus : «le fait est que des hauts fonctionnaires du gouvernement des Etats-Unis ont sollicité des informations sur l'usage de techniques agressives, ont redéfini la loi pour leur donner l'apparence de la légalité, et ont autorisé leur usage sur des détenus». Les membres du comité soulignent que selon un sondage de la BBC en 2007, seuls 29% des gens dans le monde pensent que les Etats-Unis ont une influence positive sur le monde. «Abou Ghraïb et Guantanamo ont beaucoup à voir avec cette perception». Et de citer les propos du nouveau patron de l'armée américaine au Moyen-Orient David Petraeus dans une lettre aux soldats : «Nous sommes des guerriers, mais nous sommes aussi des êtres humains (…) Ce combat dépend de la sécurisation des populations, qui doivent comprendre que nous -pas nos ennemis- occupons le «point haut» moral (high ground). Une référence à l'axiome de stratégie qui veut que celui contrôle le point le plus haut du champ de bataille remporte la guerre.
No comments:
Post a Comment