Sunday, December 14, 2008

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«La Grèce a perdu sa cohésion sociale»

Propos recueillis à Athènes par Thierry Oberlé

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Selon Takis Théodoropoulos, ce sont «les enfants de la bourgeoisie» qui se déchaînent contre la police. Jeudi encore, des jeunes ont défié les forces de l'ordre à Athènes.
Selon Takis Théodoropoulos, ce sont «les enfants de la bourgeoisie» qui se déchaînent contre la police. Jeudi encore, des jeunes ont défié les forces de l'ordre à Athènes. Crédits photo : AFP

INTERVIEW - Chroniqueur au quotidien «Ta Nea» et auteur de L'Invention de la Vénus de Milo (*), l'écrivain Takis Théodoropoulos évoque cette perte de confiance en soi qui touche l'ensemble de la société grecque et qu'expriment de manière spectaculaire les émeutes que connaît son pays depuis cinq jours.

LE FIGARO. - Qui sont les jeunes en colère ?
Takis THÉODOROPOULOS. - Alexis, l'adolescent de 15 ans tué par un policier était un fils de bonne famille. Ce ne sont pas, comme dans les banlieues françaises en 2005, les jeunes défavorisés qui se déchaînent contre la police, mais les enfants de la bourgeoisie. Ce n'est pas non plus, comme on peut le lire parfois dans les médias parisiens, la «génération 600 euros», celle des emplois précaires et mal payés qui tient le haut du pavé. Ce sont d'abord des filles et des garçons de 15 ans. Ils suivent ceux que la presse appelle par euphémisme les anarcho-autonomes, qui sont en fait des professionnels de la violence nourris à l'abri d'une administration incompétente, sorte de talibans qui n'ont pas hésité lundi soir à mettre le feu au Musée archéologique d'Athènes.

Quant aux jeunes, eux, ils n'hésitent pas à reprendre le discours politique stéréotypé de leurs aînés. Ils dénoncent l'État policier alors que la police est un secteur public qui fonctionne mal, comme d'ailleurs tous les secteurs publics grecs. Dans ce pays, l'anarchiste, c'est aussi le directeur des impôts ou le policier qui fait ce qu'il veut. Cette jeunesse est le reflet d'une société en faillite. Elle en est la partie la plus sensible et exprime de façon plus bruyante une implosion du système politique, économique et social.

Pourquoi la jeunesse a-t-elle peur de l'avenir ?
Le cycle engagé avec le passage de la dictature à la démocratie puis poursuivi par l'adhésion à l'Union européenne à l'issue d'un énorme effort de mise à niveau s'est achevé avec les Jeux olympiques d'Athènes de 2004. Durant cette période, les générations montantes pouvaient s'appuyer sur la solidarité familiale particulière aux pays méditerranéens. Il était possible de compter sur ses parents jusqu'à 30 ans, voire 40 ans. Je me souviens d'un gars qui, après avoir brûlé sa voiture pour fêter la victoire de la Grèce au championnat d'Europe de football en 2004, avait déclaré : «Ce n'est pas grave, maman va m'en payer une nouvelle.» Ce protectionnisme familial est en déclin pour des raisons économiques. Longtemps alimentée par le clientélisme de la classe politique, la demande constante des jeunes Grecs à devenir fonctionnaire à la fin de leurs études devient un mirage. Les jeunes en ont conscience. Le déficit de l'éducation joue également un rôle déterminant. Les diplômés quittent le système éducatif sans armes pour se défendre car le savoir a perdu de sa valeur.

Quelle est la responsabilité de la classe politique ?
La responsabilité de la classe politique est écrasante. Nous avons l'impression que le gouvernement actuel avoue qu'il est incapable de gérer la crise parce que sa spécialité, ce sont les affaires. Le pouvoir est partagé depuis le retour à la démocratie par quelques grandes familles politiques et leurs amis. Il fonctionne par passe-droits. Un ministre mis en cause dans des scandales a récemment déclaré avoir succombé à l'affairisme pour sauver la dignité de ses enfants. Le jeune qui s'ennuie répond à ce cynisme officiel en brûlant Athènes.

Où va la société grecque ?
Le système traditionnel s'effondre et l'Europe n'est plus un modèle. Ce double mouvement accélère le krach social. Les derniers événements sont l'expression d'une perte de confiance qui n'est pas sans rappeler les grandes peurs qu'avait connues Athènes au Ve siècle après Périclès. Sa grande peur alors n'était pas l'invasion des barbares. Sa grande peur était la dissolution du tissu social, la mise en cause de la cohésion de la cité.

(*) Éditions Sabine Wespieser


Lefigaro

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